Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel ils s’adressent.
Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).
Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.
Stéphane Boonen,
Administrateur
Relevé dans
L’Europe en bref n°1059 du 18 décembre 2024 au 9 janvier 2025
L’Europe en bref n°1060 du 10 au 16 janvier 2025
L’Europe en bref n°1061 du 17 au 23 janvier 2025
L’Europe en bref n°1062 du 24 au 30 janvier 2025
L’Europe en bref n°1063 du 31 janvier au 6 février 2025
L’Europe en bref n°1064 du 7 au 13 février 2025
L’Europe en bref n°1065 du 14 au 20 février 2025
L’Europe en bref n°1066 du 21 au 27 février 2025
L’Europe en bref n°1067 du 28 février au 6 mars 2025
L’Europe en bref n°1068 du 7 au 15 mars 2025
ADOPTION
Le seul refus par des autorités nationales d’une opération d’adoption ne suffit pas en tant que tel à compromettre le lien familial s’il ménage un juste équilibre entre l’intérêt des personnes et celui de l’Etat (6 mars)
Arrêt T.A c. Suisse, requête n°13437/22
La requérante, une citoyenne suisse née en Ethiopie, s’est vue refuser par les autorités helvétiques l’adoption, d’un enfant orphelin recueilli à Addis-Abeba et qui avait préalablement été autorisée par les autorités éthiopiennes. Cette décision de refus était fondée sur plusieurs éléments tenant à la situation personnelle de la requérante, notamment sa santé, son âge et sa situation financière. La requérante estime avoir agi de bonne foi et dans l’intérêt supérieur de l’enfant en le ramenant en Suisse en vue de son adoption, et que la vie familiale qui s’était de facto créée aurait dû être prise en compte par les autorités. La Cour EDH considère d’abord que la situation répond favorablement au test d’applicabilité de la « vie familiale » compte tenu de la durée de la relation ininterrompue entre la requérante et l’enfant, de l’existence et de la qualité des liens étroits et affectifs entre eux. Elle estime cependant que le refus d’autoriser l’adoption n’entraînait ni d’obstacles particuliers ou de difficultés pratiques, ni une séparation forcée et irréversible entre l’enfant et sa mère, puisque cette dernière conservait une tutelle légale et que l’enfant aurait été admis à demander la nationalité suisse à ses 12 ans. Les autorités suisses ont donc ménagé un juste équilibre entre les intérêts de la requérante et ceux de l’Etat. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
CONSOMMATION
La responsabilité solidaire du fournisseur et du véritable producteur d’un produit défectueux peut être engagée même si le fournisseur n’a pas lui-même apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur ce produit, lorsque que le nom, la marque ou un autre signe distinctif du fournisseur coïncide en tout ou en partie avec ceux du producteur (19 décembre 2024)
Arrêt Ford Italia, aff. C-157/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive 85/374/CEE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Dans un 1er temps, la Cour relève que la notion de « personne qui se présente comme producteur » au sens de la directive ne vise pas seulement la personne qui a matériellement apposé son nom sur le produit, mais doit également inclure le fournisseur, si son nom ou un élément distinctif de celui-ci correspond au nom du fabricant et au nom, à la marque ou à un autre signe distinctif présent sur le produit. Dans un 2nd temps, la Cour ajoute qu’il ressort de la volonté du législateur que la responsabilité de « toute personne qui se présente comme producteur » soit engagée de la même manière que celle du « véritable » producteur, et que le consommateur doit avoir la liberté de demander la réparation intégrale du dommage à chacun d’entre eux indifféremment, leur responsabilité étant solidaire.
CONSOMMATION
L’information quant à la fixation du prix peut contenir une simple indication de principe sur l’application d’un pourcentage, assortie de certains éléments influant sur celui-ci pour autant qu’ils permettent au consommateur moyen de prendre sa décision en connaissance de cause (23 janvier)
Arrêt NEW Niederrhein Energie und Wasser, aff. C-518/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour fédérale de justice (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 7 § 1 et 4, sous c), de la directive 2005/29/CE, lequel est relatif aux pratiques commerciales trompeuses, lorsqu’un professionnel prévoit un mode de facturation déterminé et informe de potentiels clients des modalités de fixation des tarifs, sans intégrer dans le prix final le pourcentage forfaitaire exact de majoration appliqué en cas de consommation additionnelle d’électricité. La Cour reconnaît que l’application d’un pourcentage de majoration intégré dans le prix final, relève de « la manière dont le prix est calculé » et constitue, au sens de la directive, une information substantielle. Cependant, elle considère, d’une part, que la directive ne donne aucune précision quant au degré et au support que doit avoir une information substantielle et, d’autre part, que lorsque le professionnel, en raison de la nature du produit et des conditions de production, ne peut disposer précisément de l’ensemble des composantes du prix final, le degré d’information relatif au mode de fixation des tarifs ne saurait impliquer que le consommateur puisse procéder lui-même au calcul du prix définitif. La Cour considère ainsi que la seule indication, dans une invitation commerciale en ligne, des informations indiquant l’existence d’une composante variable du prix résultant de l’application d’un pourcentage, ainsi que d’un ordre de grandeur et de certains éléments ayant une incidence sur le prix, ne procède pas d’une « omission trompeuse ».
CONSOMMATION
Un contrat de crédit ne doit pas impérativement mentionner de manière explicite sa durée, si certaines de ses clauses permettent au consommateur de la déterminer sans difficulté et avec certitude (23 janvier)
Arrêt Slovenská sporiteľňa (Informations dans les contrats de crédit aux consommateurs), aff. C-677/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la cour régionale de Prešov (Slovaquie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs et de la directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs. La Cour a notamment été interrogée sur la question de savoir si un contrat de crédit doit explicitement mentionner sa durée, ou s’il suffit que certaines de ses clauses, compte tenu de leur rédaction, permettent au consommateur de déterminer sans difficulté et avec certitude ladite durée. La Cour rappelle que c’est l’extinction des obligations contractuelles qui marque la fin d’un contrat et détermine de facto sa durée. En effet, la durée d’un contrat de crédit est liée à l’exécution complète de leurs obligations par chacune des parties, à savoir le déblocage du capital par le prêteur et le remboursement intégral du crédit par l’emprunteur. Elle considère, à ce titre, que l’indication de la durée du contrat de crédit, ne doit pas nécessairement être effectuée par une mention formelle de la date précise de début et de fin, pour autant que le contenu de certaines de ces clauses soit suffisamment clair et précis, de sorte à permettre une détermination aisée et non-équivoque de sa durée par le consommateur.
CONSOMMATION
Dans le domaine des transactions commerciales, une clause d’un contrat d’adhésion dérogeant au délai de paiement de 60 jours civils doit refléter la volonté concordante des parties (6 février)
Arrêt Przedsiębiorstwo A., aff. C-677/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal d’arrondissement de Katowice-Est (Pologne), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 3 § 5 de la directive 2011/7/UE, qui concerne la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Cet article dispose que, dans ce domaine, un délai de paiement fixé dans un contrat ne doit pas, en principe, excéder 60 jours civils. Par dérogation, cet article prévoit qu’il peut être « expressément stipulé autrement par contrat ». En l’espèce, la clause contractuelle litigieuse fixait un délai de paiement de 120 jours civils et avait été déterminée unilatéralement par le débiteur. La Cour considère que l’exigence d’une stipulation expresse implique qu’il puisse être établi que les parties ont exprimé leur volonté concordante d’être liées par la clause. Ainsi, dans un contrat d’adhésion, la clause doit avoir été suffisamment mise en exergue, de manière à la distinguer clairement des autres clauses du contrat en faisant ressortir son caractère dérogatoire, et ainsi, à garantir l’adhésion en toute connaissance de cause de la partie concernée.
DIVORCE
Le devoir conjugal ne garantit pas le libre consentement aux relations sexuelles au sein du couple et conduit à une violation de l’article 8 de la Convention (23 janvier)
Arrêt H.W. c. France, requête n°13805/21
La requérante conteste le prononcé de son divorce pour faute au motif qu’elle avait cessé d’avoir des relations sexuelles avec son mari. La Cour EDH rappelle que la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention, recouvre la vie sexuelle, et que cet article a pour objet principal de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Pour qu’une ingérence soit compatible avec la Convention, celle-ci doit être prévue par la loi ou une jurisprudence établie, justifiée par la poursuite d’un des buts légitimes énumérés par la Convention, et proportionnée à cet objectif. La Cour EDH considère que le prononcé d’un divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé toute relation intime avec son époux constitue bien une ingérence. Si cette dernière était prévue par une jurisprudence établie, et poursuivait l’objectif légitime de protection des droits et libertés d’autrui, à savoir le droit du conjoint d’obtenir qu’il soit mis fin au lien matrimonial, la Cour EDH constate que le devoir conjugal ne garantit pas le libre consentement aux relations sexuelles au sein du couple, et n’est donc pas proportionné à l’objectif susvisé. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
DROIT DE L’UNION
Le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, une juridiction peut connaître une action en réparation du préjudice causé par une violation du droit de l’Union, du fait d’une décision rendue par ladite juridiction dans une affaire à laquelle elle est partie, pourvu que cette réglementation nationale et les mesures pour le traitement de cette affaire permettent d’écarter tout doute légitime dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de la juridiction concernée (19 décembre 2024)
Arrêt Vivacom Bulgaria, aff. C-369/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative suprême (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la question de savoir si une juridiction appelée à statuer en dernier ressort sur sa propre violation du droit de l’Union, peut être considérée comme impartiale. Dans un 1er temps la Cour estime qu’il n’est pas interdit par principe à un Etat membre de désigner une juridiction comme compétente pour connaître, dans le cadre d’un pourvoi en cassation, de la responsabilité de l’Etat pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union découlant, le cas échéant, de l’un des arrêts de cette juridiction, pourvu que les mesures nécessaires soient prises pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ladite juridiction. Dans un 2ème temps, la Cour considère que le statut procédural de la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, n’est pas de nature à remettre en cause l’impartialité de cette juridiction, à condition que les membres de la formation de jugement saisie dudit litige en dernière instance, n’aient participé en aucune manière à la défense de ladite juridiction en première instance. Dans un 3ème temps, la Cour rappelle qu’en ce qui concerne l’exigence d’impartialité et d’indépendance des juges, les règles applicables à leur statut et l’exercice de leurs fonctions doivent également permettre d’écarter toute absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci, propre à porter atteinte à la confiance des justiciables en la justice. Elle considère que les règles budgétaires régissant le paiement d’éventuels dommages et intérêts consécutivement à la décision tranchant le litige au principal ne sont pas de nature à susciter un doute légitime dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance ou à l’impartialité de la juridiction de renvoi.
logo de production biologique d’un pays tiers peut être utilisé dans l’Union, même lorsqu’il contient des termes qui font référence à la production biologique, pour autant que le produit soit conforme à des règles équivalentes à celles prévues par le droit de l’Union. (AD)
DROITS FONDAMENTAUX
Le caractère insuffisant de l’enquête menée par les autorités à la suite du décès en détention d’un individu viole l’obligation positive du droit à la vie (9 janvier)
Arrêt Petrosyan c. Arménie, requête n°51448/15
La requérante est une ressortissante arménienne dont le fils se serait suicidé alors qu’il était en détention pour refus d’accomplir le service militaire. Il en avait préalablement été exempté pour raisons de santé mentale. La requérante invoque la violation du droit à la vie, prévu par l’article 2 de la Convention, reprochant aux autorités de n’avoir fourni aucune explication plausible au décès de son fils et en toute hypothèse, de n’avoir pris aucune mesure pour le protéger alors qu’elles connaissaient ses problèmes de santé mentale. La Cour EDH rappelle d’abord que les personnes en détention sont placées dans une situation de vulnérabilité et qu’il incombe aux autorités d’assurer leur protection, en particulier dans l’hypothèse de maladies mentales. En complément, elle énonce il échoit aux autorités, en cas de décès en détention, de mener une investigation impartiale, effective et propre à fournir une explication satisfaisante quant aux circonstances du décès. En l’espèce, la Cour EDH relève le refus persistant des autorités d’informer et d’impliquer la requérante dans les investigations menées ainsi que le caractère superficiel de leurs conclusions quant aux circonstances du décès. Celles-ci n’ont, par ailleurs, jamais fourni d’éléments suffisants permettant aux juridictions ou à la Cour EDH d’apprécier le respect par les autorités de leur obligation de protéger le droit à la vie de la victime. Partant, la Cour EDH conclut à l’impossibilité de vérifier le respect par l’Arménie de son obligation positive tirée de l’article 2 de la Convention et, donc, à sa violation.
DROITS FONDAMENTAUX
L’usage de la force potentiellement meurtrière par un agent de l’Etat peut se justifier par la perception sincère par son auteur, de sa stricte nécessité au moment des faits (16 janvier)
Arrêt Ghaoui c. France, requête n°41208/21
Le requérant, un ressortissant français, a été blessé par balle à l’occasion de son interpellation par la police. Le policier auteur du coup de feu a bénéficié d’un non-lieu au motif d’une situation de légitime défense. La victime soulève devant la Cour EDH la violation de l’obligation de l’Etat de protéger son droit à la vie, tant au regard du caractère partial et ineffectif de l’enquête menée, que de l’appréciation du caractère nécessaire et proportionné du tir du policier. La Cour EDH rappelle d’abord qu’en matière d’usage de la force par un agent de l’Etat, l’enquête doit être menée par une autorité indépendante afin d’évaluer le caractère justifié du recours à la force, associer autant que possible la victime et être réalisée avec une célérité et une diligence raisonnable. Sur le volet matériel, elle énonce que l’usage de la force par les autorités peut se justifier lorsqu’il se fonde sur une conviction honnête considérée, comme valable à l’époque des événements mais qui se révèle ensuite erronée. Affirmer le contraire imposerait à l’Etat et à ses agents chargés de l’application des lois une charge irréaliste qui risquerait de s’exercer aux dépens de leur vie et de celle d’autrui. En l’espèce, la Cour EDH relève que si l’enquête a fait l’objet d’un retard excessif, celui-ci a été compensé par une condamnation pécuniaire de l’Etat. Ce retard n’a par ailleurs pas empêché les autorités d’établir, de manière indépendante, les faits essentiels et de déterminer si le recours à la force avait été absolument nécessaire et proportionné. Sur ce dernier point, la Cour EDH constate que l’auteur du tir a agi dans le feu de l’action, face à ce qu’il percevait sincèrement comme un danger afin de sauver sa vie ou celle d’autrui. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 2 de la Convention.
DROITS FONDAMENTAUX
L’usage de la force meurtrière par les forces de l’ordre est justifié en cas d’absolue nécessité laquelle doit être établie « au-delà de tout doute raisonnable » (6 mars)
Arrêt Garand e.a. c. France, requête n°2474/21
Les requérants sont des proches du défunt, décédé à la suite de tirs des forces de la gendarmerie à l’occasion de son arrestation. Ils allèguent un usage de la force par les militaires qui n’aurait été ni nécessaire ni proportionné et soulèvent donc une violation de l’article 2 de la Convention. La Cour EDH rappelle que le recours à la force meurtrière par les forces de l’ordre peut se justifier en cas d’absolue nécessité. Celle-ci doit s’apprécier au regard de l’ensemble des circonstances et doit permettre d’aller « au-delà de tout doute raisonnable » sur la question par le biais du faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précises et concordantes. En l’espèce, la Cour EDH observe qu’au moment des faits, la victime était sous l’emprise de stupéfiants qu’elle menaçait les militaires avec un couteau. Ceux-ci ont tenté de l’appréhender en procédant à deux tirs de taser qui se sont révélés inefficaces, après quoi la victime s’est précipitée sur un agent le couteau à la main. Dans ces circonstances, l’usage de leurs armes à feu s’est révélé justifié et absolument nécessaire. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 2 de la Convention.
DROITS FONDAMENTAUX
Un grief fondé sur un autre motif que ceux prévus par le droit national, ne saurait faire d’un recours en cassation une voie de recours exploitable afin d’obtenir réparation d’une violation alléguée devant la Cour EDH (20 février)
Arrêt Secară c. Roumanie, requête n°56658/22
La requérante, une ressortissante roumaine, allègue un manque d’équité de la procédure pénale à l’issue de laquelle elle a été condamnée en appel pour des faits d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Cette dernière soutient avoir été condamnée en l’absence d’administration directe de preuves et notamment de témoignages, alors même qu’elle avait été acquittée sur la base de ces mêmes éléments en première instance, ce qui constituerait selon elle une violation de l’article 6 § 1 et 3 d) de la Convention. La Cour EDH rappelle qu’en droit roumain, le recours en cassation est réservé à des situations d’illégalités manifestes et limité à 5 motifs de cassation, notamment celui tiré d’une condamnation pour des faits non prévus par la loi pénale. Elle constate à ce titre l’étendue restreinte du contrôle d’un tel motif par la juridiction roumaine, lequel semble se limiter à la seule question de savoir si un individu a été condamné pour un acte qualifié d’infraction par une disposition contraignante. La Cour constate donc qu’aucun des 5 motifs de recours en cassation prévus en droit roumain ne couvre le grief soumis par la requérante à la Cour. Ainsi, elle considère que cette voie de recours n’aurait pas permis in fine d’obtenir la réparation de la violation alléguée par la requérante. La Cour EDH en déduit par conséquent que seule la décision d’appel doit être considérée comme définitive, notamment pour le calcul du délai de recours de six mois, fixé à l’article 35 § 4 de la Convention. Partant, la Cour EDH rejette la requête comme irrecevable pour non-respect dudit délai.
DROITS FONDAMENTAUX
L’enquête en matière de viol menée sous le prisme de stéréotypes de genre et s’en tenant à de trop faibles investigations matérielles viole la Convention (27 février)
Arrêt X c. Chypre, requête n°40733/22
La requérante allègue avoir été victime d’un viol commis pendant un séjour à Chypre. Les autorités chypriotes ont mené à son encontre un interrogatoire ayant abouti à la rétractation de sa plainte. Elle a par la suite été condamnée pour dénonciation calomnieuse avant d’être relaxée en appel. La requérante considère que de graves défaillances ont émaillé l’enquête des autorités et soulève une violation de l’article 3 de la Convention. La Cour EDH rappelle qu’en matière d’allégations de violences sexuelles, il incombe aux Etats de prendre toutes les mesures raisonnables pour recueillir tous les éléments disponibles et de ne statuer qu’après s’être livrés à une appréciation de l’ensemble des circonstances. Elle précise par ailleurs qu’il est démontré que les victimes de viol n’opposent pas nécessairement de résistance physique à leur agresseur, et ce, en raison de facteurs psychologiques. En l’espèce, la Cour EDH observe que les autorités n’ont pas recueilli suffisamment de preuves et qu’elles ont analysé celles-ci par le biais d’un prisme fondé sur des stéréotypes de genre à l’égard de la plaignante et de sa vie sexuelle. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.
DROITS FONDAMENTAUX
La France n’a pas assuré le seuil d’exigences requis pour s’assurer que tout risque pour la vie a été réduit au minimum dans l’affaire Fraisse, violant ainsi l’article 2 de la Convention (27 février)
Arrêt Fraisse e.a. c. France, requêtes n°22525/21 et 47626/21
Les requérants sont des membres de la famille de Rémi Fraisse, un étudiant décédé à la suite de l’explosion d’une grenade lancée lors d’affrontements opposant des manifestants à des gendarmes. Ils soutiennent que l’usage de la force par le gendarme a entraîné une violation de l’article 2 de la Convention relatif au droit à la vie. La Cour EDH rappelle tout d’abord que dans les cas où des agents de l’Etat font usage de la force, elle doit prendre en considération leurs actes mais également le cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent, leur préparation et le contrôle exercé sur eux. En l’espèce, la Cour EDH considère que la réglementation applicable à l’époque des faits n’était ni complète ni suffisamment précise pour permettre un usage réellement gradué de la force. Elle relève également que l’utilisation de la grenade en question, interdite à la suite des faits litigieux, était problématique en raison de sa dangerosité exceptionnelle et de l’absence de consignes particulières encadrant son usage. Elle relève enfin des défaillances dans la préparation et le contrôle de l’opération des forces de l’ordre. Partant, la France n’a pas assuré le seuil d’exigences requis pour s’assurer que tout risque pour la vie était réduit au minimum et la Cour EDH conclut à la violation de l’article 2 en son volet matériel.
DROITS FONDAMENTAUX – LIBERTE D’EXPRESSION
Lorsqu’elle analyse d’éventuelles ingérences des autorités nationales dans le droit à la liberté d’expression, la Cour EDH examine si la condamnation du requérant pour des propos litigieux publiés par ce dernier répondait à un besoin social impérieux et poursuivait un but légitime d’une part, et d’autre part, concernant des propos tenus par des tiers, si ladite ingérence définit de manière suffisamment nette l’étendue et les modalités d’exercice de la liberté d’expression (7 janvier)
Arrêt Pătrașcu c. Roumanie, requête n°1847/21
Le requérant, un ressortissant roumain, a vu sa responsabilité engagée en raison de propos et commentaires publiés sur sa page Facebook, dont certains par des personnes tierces avec son aval, lesquels visaient tant le physique, l’éducation, le nom, la compétence et la conduite professionnelle de certains artistes nationaux et étrangers. Ce dernier a été poursuivi et condamné au paiement de dédommagements pour le préjudice moral résultant d’une atteinte à l’image, la réputation, la dignité et l’honneur des personnes visées par lesdits commentaires. Invoquant notamment l’article 10 de la Convention, le requérant estime que sa condamnation est contraire au droit à la liberté d’expression. Dans un 1er temps, la Cour EDH estime que les expressions du requérant et des personnes tierces manquaient de décence et constituaient des dérapages de langage eu égard aux références zoologiques qu’elles contenaient et à la divergence entre les formulations employées et le milieu cultivé de l’opéra et de ses amateurs. La Cour considère toutefois que les autorités internes n’ont pas procédé à une véritable mise en balance des intérêts en jeu et n’ont pas démontré que la condamnation du requérant pour les propos qu’il a publié, répondait à un besoin social impérieux et était proportionnée au but légitime poursuivi. Dans un 2ème temps, la Cour EDH considère que, dans leur application des dispositions nationales ayant fondées la condamnation du requérant pour des propos tenus par des tiers sur sa page Facebook, les juridictions nationales se sont reposées sur une création jurisprudentielle n’ayant pas cours au moment des faits. Dans un 3ème temps, elle considère que la disposition nationale établissant l’ingérence litigieuse, ne définissait pas l’étendue et les modalités de l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression, à travers l’ouverture de sa page Facebook aux commentaires de tiers, avec une netteté suffisante pour permettre à l’intéressé de jouir du degré de protection qu’exige la prééminence du droit dans une société démocratique. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.
DROITS FONDAMENTAUX - LIBERTE D’EXPRESSION
L’absence de publicité des motifs d’acquittement d’un ancien ministre poursuivi pour avoir ordonné des mesures de surveillance secrètes illégales viole la Convention (4 mars)
Arrêt Girginova c. Bulgarie, requête n°4326/18
La requérante est une journaliste ayant sollicité l’accès aux motifs de l’acquittement d’un ancien ministre, poursuivi pour avoir ordonné des mesures de surveillance secrètes illégales. Les juridictions internes ont refusé ses demandes en raison du risque de divulgation de techniques de surveillance classifiées décrites dans la décision. Elle allègue une violation de l’article 10 de la Convention. La Cour EDH indique d’abord qu’eu égard à la nature de l’information recherchée et au rôle de la requérante, le refus des autorités constitue une ingérence à la liberté d’expression. A ce titre, celle-ci doit être justifiée par la loi, poursuivre un intérêt légitime et être nécessaire dans une société démocratique. En l’espèce, la Cour EDH estime que la connaissance par le public des motifs d’acquittement d’un ancien ministre pour de tels faits est nécessaire pour rassurer celui-ci sur le caractère équitable et impartial du système judiciaire. La Cour EDH précise par ailleurs que la juridiction aurait pu produire un jugement partiellement censuré quant aux modalités des techniques de surveillance utilisées et rendre le reste du jugement public. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.
DROIT PENAL
La publication par le parquet spécialisé bulgare d’un communiqué concernant la mise en examen d’une journaliste et femme politique et décrivant les faits de manière partiale viole la Convention (7 janvier)
Arrêt Yoncheva c. Bulgarie, requête n°39127/19
La requérante, journaliste et femme politique, se plaint de la publication par le parquet spécialisé bulgare d’un communiqué de presse relatant sa mise en examen. Selon elle, ce communiqué porte atteinte à son droit à être présumée innocente et garanti par l’article 6 § 2 de la Convention, car il véhicule l’idée qu’elle a sciemment participé à une opération de blanchiment de fonds à grande échelle. La Cour EDH rappelle qu’en vertu de la liberté d’expression, les autorités peuvent renseigner le public sur les enquêtes pénales en cours tant que cela est fait avec la discrétion et la réserve nécessaires au respect de la présomption d’innocence. La Cour EDH considère qu’en l’espèce, le communiqué ne s’en est pas tenu à la simple information du grand public, puisqu’il a décrit les faits de manière très peu nuancée, notamment en utilisant des termes tels que « complice », « origine criminelle des fonds », et en affirmant catégoriquement que la requérante connaissait l’origine illégale de ces derniers. Du fait de la notoriété de la requérante, le communiqué avait en outre été largement diffusé par les médias et la presse écrite, ce qui a exacerbé ses effets néfastes. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
DROIT PENAL
La non-comparution de témoins n’a pas porté atteinte aux droits de la défense en raison de l’existence d’éléments compensateurs permettant une appréciation équitable des témoignages non vérifiés (14 janvier)
Arrêt Vasile Pruteanu e.a. c. Roumanie, requête n°9308/18
Les requérants, des ressortissants roumains propriétaires de salons de massage, étaient soupçonnés d’inciter à des massages à caractère érotique et à des rapports sexuels, pratiques dans lesquelles auraient été impliquées des masseuses recrutées en République de Moldavie. Les requérants ont été condamnés pour proxénétisme et traite d’êtres humains. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants estiment que leur condamnation est contraire au droit à un procès équitable dans la mesure où 3 témoins clés n’ont jamais été interrogés directement par un tribunal et qu’un 4ème témoin a été interrogé uniquement par les juridictions moldaves. La Cour EDH considère que la non-comparution des 4 témoins était justifiée en raison de la nécessité de protéger les victimes de traite des êtres humains et d’exploitation sexuelle. Même si elle admet que les déclarations des témoins absents ont contribué à la condamnation des requérants, la Cour EDH considère qu’elles ont surtout permis de corroborer les preuves existantes et n’ont pas été décisives. Elle relève ensuite l’existence d’éléments compensateurs permettant une appréciation équitable et appropriée des témoignages non vérifiés, tels que le fait que le recours à ces témoignages n’ait été opéré qu’après avoir constaté que les déclarations en question étaient corroborées par d’autres éléments de preuve et lorsqu’il est apparu clairement que la présence des témoins au tribunal ne pouvait pas être assurée. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 6 de la Convention.
DROIT PENAL
Un Etat membre peut exiger d’un individu condamné par défaut qu’il introduise une demande de réouverture de procès, dès lors que la procédure entourant cette demande revêt un caractère effectif (16 janvier)
Arrêt VB II, aff. C-400/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal de Sofia (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive (UE) 2016/343. En l’espèce, des poursuites pénales ont été engagées à l’encontre d’un individu en fuite. N’ayant pas été retrouvé, celui-ci n’a reçu aucune notification formelle des charges pesant contre lui et n’a été informé ni de son renvoi devant une juridiction ni des conséquences d’un défaut de comparution. La juridiction de renvoi interroge la Cour sur la conventionnalité du système bulgare, lequel prévoit que dès l’expiration du délai pour interjeter appel contre une décision de condamnation par défaut, la seule voie de droit disponible consiste en une demande de réouverture de la procédure pénale. La Cour indique que la directive ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre instaure un régime procédural qui ne conduit pas automatiquement à la réouverture de la procédure pénale, mais qui exige des personnes condamnées qu’elles introduisent une demande à cet effet. Un tel régime doit cependant revêtir un caractère effectif. A ce titre, la personne condamnée doit être informée, au moment où elle apprend l’existence de la condamnation, de la possibilité d’introduire une demande de réouverture de la procédure et du délai d’introduction de cette demande. Le cas échéant, cette demande doit être traitée avec célérité. La personne condamnée doit également être en mesure de s’exprimer, en personne ou par l’intermédiaire de son avocat, à l’occasion de cette demande.
DROIT PENAL
Le droit à un procès équitable comprend le droit de faire entendre des témoins, ce dernier n’étant pas garanti par la présentation d’une simple déposition écrite (21 janvier)
Arrêt Dilek Genç c. Turquie, requêtes n°74601/14 et 78295/14
La requérante turque, gérante d’un music-hall, conteste une amende qu’elle s’est vu infliger pour non-respect des horaires de fermeture imposés par sa commune. Elle estime que son droit à un procès équitable a été violé, car elle n’a pas pu faire entendre de témoins devant la juridiction administrative en charge du litige. La Cour EDH rappelle que l’article 6 de la Convention, relatif au droit à un procès équitable, comprend le droit de présenter des preuves orales durant un procès, en d’autres termes, de faire entendre des témoins. Après avoir examiné le cadre juridique et la jurisprudence turques au moment des faits, la Cour EDH conclut que la requérante n’a pas eu la possibilité de faire entendre des témoins durant la procédure administrative de contestation de son amende. Elle estime en outre que la présentation de dépositions écrites n’est pas une alternative satisfaisante car elle ne permet pas à la juridiction compétente d’évaluer la crédibilité des témoins. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 de la Convention.
DROIT PENAL
L’apparence de partialité du président d’un tribunal est suffisante pour entraîner la violation de l’article 6 § 1 de la Convention sans même que la réalité de cette partialité ne soit démontrée (23 janvier)
Arrêt Suren Antonyan c. Arménie, requête n°20140/23
Le requérant est un ressortissant arménien nommé juge à la Cour de cassation en 2009. A la suite d’une procédure disciplinaire engagée par le ministre de la Justice, le Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») a décidé de révoquer le requérant de son poste. Celui-ci invoque une violation de son droit à un procès équitable, alléguant l’absence de caractère indépendant et impartial du CSM, en raison du mode de désignation de ses membres, ainsi que le caractère partial de son président, lequel entretient des liens d’ordres amicaux et économiques avec le ministre de la Justice. La Cour EDH rappelle d’abord que l’indépendance et l’impartialité d’un juge se caractérisent par des garanties contre toute influence indue. Elle renouvelle ensuite la précision selon laquelle cette indépendance et cette impartialité se doivent également d’être « apparentes ». Au cas d’espèce, elle relève que le dispositif de désignation des membres du CSM offre des garanties contre toute influence indue, le processus étant à la fois transparent et fondé sur le mérite. En revanche, elle considère que le CSM n’a pas dissipé les doutes légitimes quant à l’apparence de partialité de son président. Partant, et sans se prononcer sur la question de la réalité de cette partialité, la Cour EDH considère que cette apparence est suffisante pour entraîner une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
DROIT PENAL
La détention provisoire justifiée par des motifs raisonnables pendant 8 mois et 21 jours puis achevée par l’acquittement sans indemnisation du requérant n’est pas contraire à la Convention (25 février)
Arrêt Gomes Costa c. Portugal, requête n°34916/16
Le requérant portugais soupçonné de viol a été placé et maintenu en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à son encontre . Celle-ci s’est achevée par son acquittement, sans qu’il puisse obtenir d’indemnisation de la part des autorités portugaises. Il allègue une violation des articles 5 et 6 de la Convention. D’une part, la Cour EDH estime que le maintien du requérant en détention provisoire pendant 8 mois et 21 jours n’a pas contrevenu aux exigences de durée et de caractère raisonnable de la détention, en raison de l’existence de soupçons plausibles de culpabilité, du risque d’entrave à la justice découlant des manœuvres du requérant visant à nier son implication et à imputer la responsabilité des faits à la plaignante, du risque de récidive compte tenu de ses aveux de carence affective et de prise de contact avec une autre femme et enfin, de la menace pour l’ordre public que caractérise la gravité des faits. D’autre part, la Cour EDH considère que les juridictions internes n’ont pas porté atteinte à la présomption d’innocence du requérant dans la mesure où le rejet de sa demande d’indemnisation ne remet pas en cause son acquittement. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation des articles 5 et 6 de la Convention.
DROIT PENAL
Les Etats membres doivent prendre en considération l’état de santé mentale des accusés et, sur leur demande, garantir une assistance particulière à l’occasion de leur procès (13 mars)
Arrêt F.S.M. c. Espagne, requête n°56712/21
La requérante est une personne âgée souffrant depuis son enfance de troubles de l’attention avec hyperactivité ainsi que de divers troubles psychotiques. Condamnée pour fraude, elle considère que son état mental a eu un impact sur sa capacité à assurer correctement sa défense et à comprendre les questions qui lui étaient posées. Elle allègue par conséquent une violation de son droit à un procès équitable. La Cour EDH rappelle que l’article 6 de la Convention garantit le droit à l’accusé de participer activement à celui-ci. A ce titre, elle précise que des garanties procédurales spéciales doivent être appliquées aux accusés souffrant de troubles mentaux et nécessitant un accompagnement. En l’espèce, la Cour EDH observe que si les troubles mentaux de l’accusée sont avérés, la juridiction interne a cependant conclu en sa capacité à participer à son procès de manière effective. Elle s’est basée pour cela sur plusieurs expertises psychiatriques. Elle relève que la requérante n’a jamais sollicité des mesures particulières d’accompagnement. Partant, la Cour EDH considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6 de la Convention.
EGALITE DE TRAITEMENT
La condition selon laquelle un ressortissant de pays tiers titulaire d’un permis unique doit justifier de l’entrée régulière de ses enfants mineurs sur le territoire national pour la détermination de ses droits aux prestations familiales est contraire à l’égalité de traitement avec les ressortissants nationaux dont il bénéficie (18 décembre 2024)
Arrêt Caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine, aff. C-664/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la cour d’appel de Versailles (France), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive 2011/98/UE. En l’espèce, la caisse d’allocations familiales a rejeté la demande d’un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, tendant à la prise en compte de ses enfants mineurs nés à l’étranger pour la détermination de ses droits aux prestations familiales, en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire français. La Cour estime que la directive 2011/98/UE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un Etat membre en vertu de laquelle, aux fins de la détermination des droits aux prestations de sécurité sociale d’un ressortissant de pays tiers, titulaire d’un permis unique, les enfants nés dans un pays tiers et laissés à sa charge ne peuvent être pris en compte qu’à condition de justifier de leur entrée régulière sur le territoire de cet État membre. La Cour estime qu’en matière de prestations sociales, seules les dérogations prévues par la directive 2011/98/UE sont admises. Une différence de traitement entre, d’une part, les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique et, d’autre part, les ressortissants nationaux, constitue, en elle-même, une violation de la directive. La Cour rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle un Etat membre ne peut invoquer une dérogation à l’égalité de traitement que s’il a clairement exprimé qu’il entendait s’en prévaloir.
JUSTICE
La clôture d’une action judiciaire concernant des violences domestiques par l’effet de la prescription en raison de la passivité des autorités est contraire aux garanties procédurales découlant de l’article 3 de la Convention (13 février)
Arrêt P.P. c. Italie, requête n°64066/19
La requérante, victime de violences et de harcèlement de la part de son ex-compagnon, soutient que le manque d’effectivité de l’enquête pénale ayant conduit à la prescription des délits est contraire aux obligations procédurales de l’article 3 de la Convention sur l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants. La Cour EDH rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les Etats ont une obligation positive d’établir et d’appliquer effectivement un système de répression de toutes formes de violences domestiques et d’offrir des garanties procédurales suffisantes aux victimes. Elle relève qu’en l’espèce, les autorités italiennes ne peuvent être réputées avoir agi avec une promptitude suffisante et une diligence raisonnable. Ensuite, la Cour EDH considère que la spécificité de la violence domestique n’a pas été prise en compte au cours de l’enquête. Enfin, elle soutient qu’il est incompatible avec les obligations procédurales de l’article 3, que les enquêtes concernant des violences domestiques prennent fin par l’effet de la prescription en raison de l’inactivité des autorités. Partant, la Cour EDH conclut à une violation de l’article 3 de la Convention.
JUSTICE
Le principe d’indépendance des juges implique que les modalités de leurs rémunérations soient fondées sur une base légale, répondent aux critères d’objectivité, de prévisibilité, de transparence et permettent de les fixer à un niveau suffisamment élevé (25 février)
Arrêt Sąd Rejonowy w Białymstoku, aff. jointes C-146/23 et C374/23 (Grande chambre)
Saisie de deux renvois préjudiciels par le tribunal d’arrondissement de Białystok (Pologne) et par le tribunal administratif régional de Vilnius (Lituanie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation des principes de protection juridictionnelle effective et d’impartialité à l’égard d’une règlementation nationale prévoyant un système de gel ou de réduction de la rémunération des juges dépendant directement de la volonté discrétionnaire des pouvoirs législatifs et exécutifs. La Cour rappelle que la perception par des juges d’un niveau de rémunération en adéquation avec l’importance de leurs fonctions constitue une garantie inhérente à leur indépendance et que celui-ci doit être déterminé en fonction de la situation économique, sociale et financière des Etats membres. Elle estime en outre, que le principe d’indépendance requiert que les modalités de détermination de leur rémunération soient objectives, prévisibles, stables et transparentes. La Cour considère que les pouvoirs législatifs et exécutifs peuvent toutefois déroger à une réglementation nationale définissant de manière objective les modalités de détermination de la rémunération, sous réserve notamment que la mesure dérogatoire soit fondée sur des modalités objectives, prévisibles et transparentes, qu’elle soit prévue par la loi et poursuive de manière proportionnée un objectif d’intérêt général
MINEUR
L’intérêt supérieur de l’enfant peut commander que les liens entre celui-ci et ses parents ne soient pas maintenus (13 mars)
Arrêt Calvez c. France, requête n°27313/21
La requérante, une ressortissante française mère célibataire, dénonce une violation de l’article 8 de la Convention en raison du placement de sa fille auprès de l’Aide sociale à l’enfance à temps complet pour une durée de 2 ans. La Cour EDH rappelle que si l’intérêt supérieur de l’enfant commande normalement que les liens entre celui-ci et sa famille soient maintenus, il en va autrement lorsqu’un maintien des liens serait de nature à porter atteinte à sa santé et à son développement. En l’espèce, la Cour EDH constate que la décision de placement de l’enfant constitue bien une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie familiale, mais que cette mesure est prévue par la loi et poursuit les buts légitimes de « protection de la santé » et « des droits et libertés de l’enfant ». En vérifiant si la mesure était proportionnée aux objectifs précités, elle relève notamment que l’enfant avait trouvé un cadre sécurisant sur son lieu de placement et ne souhaitait pas retourner vivre avec sa mère, et que cette dernière n’avait pas évolué dans son positionnement éducatif nocif. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
POSITION DOMINANTE
Le refus de Google de développer un modèle permettant l’interopérabilité d’une application mobile avec son système Android Auto est susceptible d’être qualifié d’abus de position dominante (25 février)
Arrêt Alphabet e.a., aff. C-233/23 (Grande chambre)
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 102 TFUE. En l’espèce, Google a développé Android Auto qui permet aux utilisateurs d’accéder sur l’écran de leur voiture à des applications mobiles. Afin de permettre l’interopérabilité d’applications multimédias et de messagerie avec Android Auto, Google a réalisé des « modèles » pouvant être utilisés par des entreprises tierces. Google a cependant refusé à une entreprise de développer un « modèle » permettant l’interopérabilité avec Android Auto de son application relative à la recharge de voitures électriques. La Cour rappelle qu’un tel refus empêchant l’accès à un marché est susceptible d’être qualifié d’abus de position dominante s’il n’est pas objectivement justifié. La Cour estime que l’entreprise dominante peut, à juste titre, justifier son refus de développer le modèle pour des raisons techniques ou de sécurité. En revanche, si elle n’avance pas les éléments de preuve requis, comme c’est le cas en l’espèce, elle est tenue de développer le « modèle » en question. Par ailleurs, l’entreprise dominante peut demander une contrepartie financière à l’entreprise ayant demandé l’accès au marché.
REFUGIES
Un Etat membre qui a étendu une protection renforcée à certaines catégories de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au-delà de ce que requiert le droit de l’Union, peut retirer ladite protection sans être tenu d’attendre la fin de la protection temporaire accordée en vertu du droit de l’Union (19 décembre 2024)
Arrêt Kaduna, aff. jointes C-244/24 et C-290/24
Saisie de 2 renvois préjudiciels par le tribunal de La Haye et le Conseil d’Etat néerlandais, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la directive 2001/55 relative aux normes minimales encadrant l’octroi d’une protection temporaire. En l’espèce, les autorités néerlandaises ont décidé d’accorder une protection temporaire facultative aux ressortissants de pays tiers appartenant à des catégories de personnes autres que celles visées par la décision d’exécution (UE) 2022/382 établissant une protection temporaire obligatoire, mais déplacées pour les mêmes raisons. Ces dernières ont par la suite limité cette protection facultative à une catégorie de personnes plus restreinte, retirant ainsi son bénéfice aux requérants. Dans un 1er temps, la Cour estime que la directive s’interprète en ce sens que les Etats membres sont en mesure de modifier la durée de la protection temporaire facultative, ainsi que les catégories de personnes visées par celle-ci. La Cour rappelle que ce dispositif constitue une manifestation du principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre Etats membres dans la mise en œuvre de la politique d’asile et souligne son caractère exceptionnel et sa durée nécessairement limitée. Dans un 2nd temps elle estime que la directive laisse une importante marge d’appréciation aux Etats membres dans la détermination des catégories de personnes susceptibles de bénéficier d’une telle protection. De plus, elle considère que les Etats membres disposent de la liberté de fixer la date à partir de laquelle ils entendent accorder le bénéfice de la protection temporaire facultative, pour autant que cette date se situe entre la date à laquelle la protection temporaire obligatoire entre en vigueur, et celle à laquelle elle cesse de produire ses effets. Ainsi, les Etats membres ne sont pas tenus d’aligner la durée de cette protection temporaire facultative sur la durée initiale de la protection temporaire obligatoire.
REFUGIES
Le droit européen ne s’oppose pas, sous certaines conditions, à une règlementation nationale conditionnant l’octroi d’une protection internationale à la réussite d’un examen (4 février)
Arrêt Keren, aff. C-158/23 (Grande Chambre)
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat néerlandais (Pays-Bas), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2011/95/UE. En l’espèce, une règlementation nationale imposait au bénéficiaire d’une protection internationale le suivi d’un programme d’intégration payant et l’obligation de réussir, sous peine d’amende, un examen d’intégration civique. La Cour considère qu’une telle réglementation est admise sous certaines conditions. Soulignant l’importance de l’acquisition de connaissances de la langue et de la société du pays d’accueil pour favoriser l’intégration, elle rappelle que les Etats membres disposent d’une marge d’appréciation pour décider du contenu des programmes d’intégration et des obligations susceptibles d’être mises à la charge des participants. Néanmoins, la Cour impose que les circonstances personnelles de l’intéressé soient prises en compte lors de la mise en œuvre de la réglementation. De plus, elle prescrit de fixer un niveau élémentaire de connaissances requises pour réussir l’examen d’intégration. La Cour précise que le bénéficiaire de la protection internationale déjà intégré dans son pays d’accueil doit être dispensé de l’obligation de réussir l’examen. Par ailleurs, la Cour s’oppose à ce que les frais du programme et de l’examen soient supportés par celui-ci et à ce qu’une amende soit systématiquement infligée en cas d’échec à l’examen.
REFUGIES
Un Etat membre peut refuser l’octroi du statut de réfugié pour une raison de sécurité nationale qui ne constituerait pas un motif d’exclusion au sens de la Convention de Genève (27 février)
Arrêt K.A.M II, aff. C-454/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative pour la protection internationale (Chypre), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive (UE) 2011/95. En l’espèce, un demandeur d’asile s’est vu refuser sa demande au motif de risques terroristes liés à son comportement passé en dehors du territoire. La juridiction de renvoi interroge la Cour sur la possibilité pour un Etat membre de refuser un statut de réfugié pour des comportements ne constituant pas des motifs d’exclusion au sens de la Convention de Genève. Si la Cour rappelle que le droit de l’Union doit s’interpréter au regard de cette convention en raison des articles 78 du TFUE et 18 de la Charte des droits fondamentaux, elle précise cependant qu’il n’y a pas lieu de s’y référer en l’espèce. En effet, le refus d’octroyer le statut de réfugié sur le fondement de la directive (UE) 2011/95 n’affecte pas la qualité de réfugié dans un pays tiers au sens de la Convention de Genève et ne permet en toute hypothèse pas de déroger au principe de non-refoulement qu’elle impose. Dès lors, la référence aussi bien aux motifs d’exclusions du statut réfugié qu’aux conditions applicables à la notion de « danger pour la sécurité du pays » visés par la Convention de Genève n’est pas pertinente.
R.G.P.D.
Le montant maximal d’une amende pour violation du RGPD adressée à une filiale est déterminé par le chiffre d’affaires annuel mondial du groupe (13 février)
Arrêt ILVA (Amende pour violation du RGPD), aff. C-383/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la cour d’appel de la région Ouest (Danemark), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation du terme « entreprise » figurant dans le règlement (UE) 2016/679. En l’espèce, l’entreprise requérante est une filiale d’un groupe danois qui s’est vu imposer une amende pour violation du RGPD. Le calcul du montant de l’amende par les autorités se fonde sur le chiffre d’affaires de la filiale ainsi que sur celui du groupe. La Cour interprète le règlement en ce sens que le terme « entreprise », figurant dans certaines de ses dispositions fixant les conditions générales pour imposer des amendes administratives, correspond à la notion d’« entreprise», au sens des articles 101 et 102 du TFUE sur l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles. A ce titre, une entreprise désigne une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Ainsi, le montant maximal d’une amende imposée à un responsable du traitement de données à caractère personnel, qui est ou fait partie d’une entreprise, est déterminé sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent de l’entreprise.
TRANSPORT
La création d’un compte de fidélité sur le site Internet du transporteur aérien ne saurait être considérée en tant que telle comme un accord signé et accepté de manière explicite, définitif et univoque par un passager et de nature à confirmer son choix d’un remboursement sous la forme de bons de voyage (16 janvier)
Arrêt Flightright (Compte de fidélité), aff. C-642/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal régional de Düsseldorf (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la question de savoir si l’accord d’un passager pour un remboursement sous forme de bons de voyage, pouvait être déduit et présumé de son comportement, à défaut d’accord manuscrit. Dans un 1er temps, la Cour rappelle qu’à travers le règlement (UE) 261/2004, le législateur a entendu faire du remboursement sous forme d’argent, le mode principal d’indemnisation en cas d’annulation d’un vol, le remboursement sous la forme de bons de voyage restant une modalité subsidiaire, soumise à la condition supplémentaire de « l’accord signé du passager ». Dans un 2ème temps, elle estime que la notion « d’accord signé » ne saurait toutefois être interprétée de manière restrictive comme posant une condition formelle, telle que la signature manuscrite du passager, pour que ce dernier puisse valablement exprimer son acceptation explicite, définitive et univoque au remboursement de son billet sous la forme d’un bon de voyage. Dans un 3ème temps, la Cour considère cependant que la seule circonstance tenant à la création d’un compte de fidélité sur le site Internet du transporteur aérien ne saurait être considérée comme étant suffisante, en tant que telle, pour considérer qu’un passager a émis une acceptation explicite, définitive et univoque, dès lors que cette création peut être simplement indicative de la volonté d’un consommateur de participer au programme de fidélité du transporteur aérien.