S’avérer
L’Académie française attire notre attention sur le non-sens “s’avérer faux” et sur la redondance “s’avérer vrai”.
“Avérer signifie « reconnaître ou faire reconnaître pour vrai ». Les faits sont avérés. Il signifie aussi “se révéler en réalité”, et on dira alors : l’enquête s’est avérée difficile.
La Vitrine linguistique du Québec est moins catégorique, au motif que l’idée de vérité derrière le verbe avérer est de moins en moins sentie. Elle admet néanmoins qu’on puisse “préférer” remplacer s’avérer, dans la langue soignée, par se révéler, se montrer ou être.
Ouaiche… Ça devient inextricable si chacun peut avoir son avis.
Mais, si c’est permis, dans mon (petit) coin je suis tenté de glisser un caillou dans la chaussure : il n’est pas ‘de bonne langue’, tout le monde semble d’accord, de dire Cette information s’est avérée fausse. Donc, si je dis Cette information s’est avérée inexacte, j’use d’un synonyme pur et dur et je semble rester dans le non-sens critiqué. Pourtant, en réalité (v. plus haut), l'inexactitude de cette information a bien fini par être révélée. Et donc, … avérée.
Bien malin celui qui peut prétendre user d’un français parfaitement correct !
Finaliser
Ce mot signifie Assigner un but à quelque chose, lui donner une finalité, PAS y mettre fin !
Alors, non, vous n’allez PAS finaliser un accord ; vous allez peut-être le conclure, le mener à bien, le faire aboutir, voire le boucler.
Pas question non plus de finaliser des conclusions. Tout au plus allez-vous les achever (voire, les parachever, les peaufiner ou les parfaire), les terminer, y mettre la dernière main.
Ceux qui usent de cet emploi abusif vont finir par dire à leur gosse : « Finalise ton assiette ! ».
Masculin, féminin
Ça (aussi), c’est un vrai casse-tête ! Pour moi, en tout cas. La liste qui suit vous permettra peut-être de faire un petit quiz le week-end prochain ?
Qui entend l’akène, l’ambre, l’albâtre, l’antidote, l’asphalte, l’astragale, l’hémisphère ou l’haltère et l’italique peut ne pas savoir qu’il s’agit de noms masculins, de même qu’on ignore parfois qu’alcôve, algèbre, argile, ébène, ou épitaphe sont des féminins.
Jute, dans toile de jute, est souvent considéré, par contamination avec toile, comme un nom féminin, alors que c’est « du jute » que l’on doit dire.
Qui n’a jamais buté sur pétale (masculin, comme sépale) ou échappatoire (féminin, comme volte-face) ou encore soldes, œuvres, orgues, aigles et amours, qui peuvent changer de genre quand ils changent de nombre ?
On entonne l’hymne national mais une hymne à l’église, s’il s’agit d’un chant solennel de l’office.
Les abysses sont un masculin pluriel, comme les antipodes. On dit un armistice comme un apogée ; un petit astérisque et un obélisque égyptien ; un haltère et un hémisphère, un termite et un pleurote comme un cèpe. Et même un alvéole ! De quoi attraper de gros cernes sous les yeux, mais pas de quoi faire un esclandre …
À l’inverse, des palabres peuvent être longues et des arrhes, conséquentes ; les ténèbres sont inquiétantes et les azalées, fanées ; on peut écrire une épigramme sur une écritoire ; les escarres sont fessières et les orques, comme les scolopendres, impressionnantes (ce dernier mot étant une épithète) ; une acné peut se confondre avec une urticaire, etc.
Vous les connaissiez tous ? Personnellement, je me plante assez souvent. Et je retiens cette particularité que je trouve singulière : orthographe est le seul mot en –graphe qui soit féminin !
Gens - Gent
Je commence, pour l’abandonner aussitôt, par le rare gens – qu’on prononce guènss et qui est un féminin singulier –, qui désigne une illustre famille et sa descendance, par exemple : Il est de la gens des Médicis.
Son cousin (sa cousine ?) est le plurielgens, comme dans le trivial Les gens sont tout de même incroyables !
J’utilise volontairement un attribut épicène (incroyable) car si ce mot gens est toujours un pluriel, il présente la singularité d’être tantôt masculin, tantôt féminin.
Lorsque gens est immédiatementprécédé d’un adjectif possédant une forme féminine distincte de celle du masculin, cet adjectif s’accorde au féminin : Les vieilles gens.
Cependant, cet accord n’est pas étendu aux autres éléments de la phrase, sauf pour les adjectifs tout et quel. Ça donne : Instruits par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneux.
Mais Quelles sottes gens ! Ou encore Toutes les vieilles gens …
C’est diablement compliqué ! Bon, si vous faites une erreur, qui le verra ?
Notez au passage qu’on a de vieilles gens mais des gens âgés. Et de petites gens.
Des gens d’armes sont devenus gendarmes alors que les gens de robe sont devenus magistrats. Vous avez peut-être une assurance gens de maison ou des gens dans la place ?
C’est tout ?
Eh non : quand gens est suivi d’un complément introduit par de et désignant une qualité, une profession, un état, l’accord se fait toujours au masculin : de vrais gens de cœur ou de nombreux gens de lettres …
On pourrait vouloir s’immiscer dans ces règles inextricables en les condamnant pour cause de patriarcat misogyne. Quoi ? les gens de goût, les gens de talent, les gens de parole, bref les gens de qualité ne seraient que des hommes ?! Ne nous emballons pas : les gens qui se croient tout permis et ceux dont on se moque sont aussi du genre masculin, alors que les meilleures gens du monde sont, comme on le voit, du genre féminin.
Autre particularité : on ne peut faire précéder d’un déterminant numéral le mot gens (par exemple 25 gens) ; c’est une impropriété. Le mot gens signifie, en effet, « personnes en nombre indéterminé » ou « humains en général ». On peut donc compter les personnes mais PAS les gens.
On ne pourrait pas non plus faire précéder gens de plusieurs, qui signifie « un certain nombre ».
Pourtant, il est possible d’exprimer, au moyen d’adverbes ou d’expressions suivis de la préposition de, une quantité lorsqu’il est question de gens. Le nombre sera toujours indéterminé, mais avec une nuance de sens.
On peut en effet dire peu ou trop de gens, ce qui évoque certes un nombre indéterminé, mais considéré dans le premier cas comme minime et dans l’autre comme excessif. On dira aussi correctement qu’il y a beaucoup, plein, une quantité, tant, une multitudede gens ; on dira aussi bien des gens.
D’autres locutions, entre autres la plupart et la majorité des gens ainsi que tous les gens, précisent la valeur qu’on veut donner à un nombre indéterminé de personnes.
Mais alors, parmi tous ces gens, lesquels ont le droit pour eux ? Je parle, naturellement, du droit des gens.
Comme si ce qui précède n’était pas déjà suffisamment compliqué, il existe deux mots gent en français : un adjectif issu du latin genitus, « né », mais qui a pris le sens de « bien né, noble » et qui ne se rencontre plus guère que dans des expressions comme gente dame. Dame bien née, donc (et non gentille … au sens actuel du terme car, anciennement, gentil était bien de bonne lignée).
L’autre mot gent est issu du latin gens - gentis, « famille, nation, peuple ». C’est lui qu’on rencontre au pluriel, sans le t, dans cette expression Droit des gens, droit commun à toutes les nations. Gens n’est PAS ici le nom pluriel qui désigne des personnes.
On trouve ce (2e) gent au singulier dans des emplois littéraires et plaisants. La Fontaine donne les noms de gent marécageuse aux grenouilles, ou de gent trotte-menu aux souris. C’est LA gent.
Mais comme c’est de la gente dame qu’on ‘parle’ le plus – gent damoiseau étant son (plus rare) pendant –, et même s’il n’a pas la même origine (genitus et non gens-gentis), le nom gent est souvent prononcé en faisant entendre le t, ce qui est une erreur, la gent devant se prononcer comme l’agent.
Vous l’aurez compris, même si tout ça paraît beaucoup trop compliqué, je ne veux plus vous entendre dire (ni écrire) la gente féminine ! Et pourquoi pas la jante, tant qu’vous y êtes ?!
Jari Lambert
gh.lambert@avocat.be
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